L'explication est simple.
A travers le Diesel, les industriels français et européens ont mené une action coordonnée de nature mafieuse pour développer leurs intérêts.Le bilan de cette opération est de quelques centaines de milliers de morts annuels en Europe ...
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http://www.lemonde.fr/europe/article/20 ... _3214.htmlNormes européennes et marchandages opaques : les dessous du scandale Volkswagen
LE MONDE CULTURE ET IDEES | 11.02.2016 à 15h12 • Mis à jour le 12.02.2016 à 06h40
Le scandale Volkswagen en cacherait-il un autre ? La révélation, en septembre 2015, du vaste système de trucage aux tests antipollution mis en place par le constructeur allemand sur 11,5 millions de véhicules dans le monde conduit à examiner soigneusement l’univers européen, ô combien feutré, de la mise au point des normes industrielles réglementaires.
Un microcosme dont le grand public ignore tout, alors qu’il est essentiel : c’est là que se mènent les batailles techniques et administratives sur des sujets aussi sensibles que les pesticides, les prothèses médicales ou les rejets polluants, entre autres. Qui pilote en amont l’élaboration de ces normes de référence ? Qui contrôle en aval leur application ?
PĂ©nĂ©trer dans les arrière-cuisines de Bruxelles, enceintes-clĂ©s pour les lobbyistes, donne le Âtournis : liens incestueux, conflits d’intĂ©rĂŞts, jeux de dupes frisant parfois le dĂ©ni de dĂ©mocratie… Autant d’ingrĂ©dients qui ont conduit le Parlement europĂ©en Ă voter, le 17 dĂ©cembre  2015, la crĂ©ation d’une commission d’enquĂŞte sur l’affaire Volkswagen. Ses 45 membres devront Ă©tablir les responsabilitĂ©s des institutions de l’Union et des Etats membres, ainsi que celles des constructeurs automobiles. Il leur faudra aussi dire si la Commission a agi de manière appropriĂ©e, et examiner l’action des autoritĂ©s nationales d’homologation des voitures neuves, ainsi que leur ÂdegrĂ© d’indĂ©pendance vis-Ă -vis des industriels.
La procĂ©dure est exceptionnelle. Depuis 1995, date Ă laquelle ce pouvoir de contrĂ´le a Ă©tĂ© accordĂ© aux eurodĂ©putĂ©s, seulement trois commissions d’enquĂŞte ont Ă©tĂ© lancĂ©es  : l’une sur la crise de la vache folle (1996), une deuxième sur les modalitĂ©s de transit au sein de l’Union après l’adoption du marchĂ© unique (1996), et la dernière, en 2006, sur Equitable Life, une compagnie d’assurances britannique dont la faillite a lĂ©sĂ© plus d’un million de citoyens europĂ©ens. A titre de comparaison, le scandale LuxLeaks sur la fraude fiscale de nombreuses multinationales a donnĂ© lieu Ă la mise en place, en fĂ©vrier 2015, d’une simple commission spĂ©ciale, qui n’a pas le pouvoir d’exiger des documents et de conduire des auditions, contrairement Ă une commission d’enquĂŞte. Concernant Volkswagen, le chiffre ÂĂ©tabli par l’indicateur Air-O-Meter du Bureau europĂ©en de l’environnement, qui Ă©value les consĂ©quences de la pollution de l’air Ă 300 000 morts prĂ©maturĂ©es en 2020, a certainement pesĂ© dans la balance. Les rejets de polluants par les moteurs diesel – oxydes d’azote (NOx) et particules fines – sont largement pointĂ©s du doigt.
Lire la chronique de Benoît Hopquin : Que d’O, que d’O !
Avant d’entrer dans les coulisses des normes europĂ©ennes, une rapide mise au point s’impose. Il ne s’agit pas ici de contester l’intĂ©rĂŞt du travail de normalisation, en rĂ©alitĂ© indispensable. «  Il permet de dĂ©finir un langage commun entre producteurs et consommateurs, de faciliter les Ă©changes commerciaux et de garantir un niveau de qualitĂ© et de sĂ©curitĂ©, par exemple dans le secteur aĂ©rien, qui rassure les utilisateurs  », rappelle Olivier Peyrat, directeur gĂ©nĂ©ral de l’Association française de normalisation (Afnor). Une nĂ©cessitĂ© comprise dès l’AntiquitĂ©. Les Romains ont ainsi standardisĂ© la largeur des routes qu’ils construisaient en fonction de l’empattement des essieux de leurs chars de guerre tirĂ©s par deux chevaux de front. Un Ă©talonnage (143,5 cm) qui a eu la vie longue, puisqu’il a conduit Ă la normalisation de l’écartement des rails de chemin de fer. Colbert, lui, a rendu les armes interopĂ©rables afin de distribuer les mĂŞmes munitions Ă tous les Âsoldats de Louis XIV. C’est aussi le cas aujourd’hui pour les munitions de l’OTAN, utilisables par Âtoutes les armĂ©es des membres de l’alliance.
Normaliser ? Assurément, mais à condition que le processus élaboré dans des huis clos techniques ne dérape pas au profit de quelques-uns. Retour sur l’affaire Volkswagen donc, et sur cette fameuse norme Euro 6 qui fixe, depuis le 1er septembre 2015, à 80 mg/km la limite d’émissions de NOx pour les voitures particulières neuves à moteur diesel.
Le lobbying en action
Tout débute le 21 décembre  2005.
La Commission, qui veut améliorer la qualité de l’air en Europe, «  où subsistent, écrit-elle, des problèmes sensibles, en particulier dans les zones urbaines et dans les régions à forte population  », propose aux eurodéputés un texte visant à passer de la norme Euro 4 (250 mg/km) à Euro 5 (200 mg/km).
Aux Etats-Unis, la norme fédérale est déjà de 70 mg/mile (soit 70 mg pour 1,6 km) depuis 2004. Le Vieux Continent est en retard.Pour établir ce seuil, la Commission explique, dans un document officiel, avoir consulté – point important du processus – le groupe de travail sur les émissions des véhicules à moteur (MVEG), dont la composition, outre des représentants des 28 Etats membres (surtout issus des ministères des transports), fait largement la place à la filière automobile (70 % des participants).
Dans ses recommandations, elle justifie le choix du seuil de 200 mg/km par le fait «  que la technologie qui permettrait une rĂ©duction supplĂ©mentaire de NOx n’est pas Âencore au point  ». Une annexe au rapport Ă©value les coĂ»ts supplĂ©mentaires engendrĂ©s par la modification de la lĂ©gislation.
Passer Ă un
seuil beaucoup moins élevé (75 mg/km) renchérirait de 590 euros le prix d’un véhicule diesel neuf. Atteindre un niveau intermédiaire (150 mg/km) ferait bondir la facture à 499 euros supplémentaires… contre 377 euros pour le seuil de 200 mg/km préconisé par la Commission.
La Commission valide alors son option en ces termes  : «  Les
coûts additionnels associés aux scénarios des 75 mg/km et des 150 mg/km auraient un impact sur le prix des voitures, qui
risquerait de diminuer la demande pour les nouveaux vĂ©hicules dieselLes propriĂ©taires pourraient dĂ©cider de conserver leurs anciennes voitures plus longtemps, ce qui aurait pour effet de voir les nouveaux modèles ne pas pĂ©nĂ©trer le marchĂ© suffisamment rapiÂdement et ainsi ne pas rĂ©duire la pollution atmosphĂ©rique de manière significative. 
Cet argumentaire est fondé sur une
différence de coût (213 euros d’écart entre le seuil de 75 mg/km et celui de 200 mg/km, ou 122 euros pour le seuil de 150 mg/km) qui semble marginale, rapportée au prix moyen de la voiture diesel la plus vendue en France, par exemple, en 2005, la
Renault Mégane, aux alentours de 20  000 euros…
Exit néanmoins les hypothèses de normes antipollution plus drastiques.
Le texte de la Commission sera amendé en septembre 2006 par le Parlement afin de fixer la norme Euro 5 à 180 mg/km – qui sera adoptée.
Dans le cadre d’une feuille de route à plus long terme, les eurodéputés mettront en avant l’idée d’une nouvelle norme Euro 6, ce que la Commission ne proposait pas à l’origine.
Alors que le Parlement pousse d’abord en faveur d’un seuil de 70 mg/km, les allers-retours avec le rapporteur de la Commission le relèveront Ă
80 mg/km. La norme Euro 6 est finalement adoptée le 29 juin 2007, pour mise en application au 1er septembre 2015. Fin du premier épisode.
Silences coupables
Le deuxième concerne la question cruciale de savoir si les institutions europĂ©ennes Ă©taient au courant ou non des diffĂ©rences de rĂ©sultats entre les tests en laboratoire pour l’homologation des nouveaux vĂ©hicules et ceux menĂ©s sur route. Un secret de PoliÂchinelle, selon la presse automobile.
Le 14 septembre 2015, l’ONG Transport & Environnement publie un rapport qui montre que,
sur route, seuls 10 % des véhicules diesel neufs respectent la norme Euro 6. Les autres la dépassent en moyenne de cinq fois.
Le rapport soulèÂve alors – et de nouveau – la question de l’obsolescence du cycle de test utilisĂ©, le NEDC (New European Driving Cycle), créé par une directive du 20 mars 1970.
Est-ce l’onde de choc du scandale Volkswagen ? Un nouveau protocole, mondial celui-ci, le WLTP (Worldwide Harmonized Light Vehicles Test Procedures), qui associe tests en laboratoire et sur route, est adoptĂ© par l’Union europĂ©enne le 28 octobre 2015 pour une mise en application Ă partir du 1er janvier 2017. Le 28 octobre 2015, une journĂ©e sur laquelle nous reviendrons plus tard. «  Mais pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour Âremplacer le NEDC ? Il aurait dĂ» ĂŞtre rĂ©visĂ© bien plus tĂ´t. C’était prĂ©vu en 2011. Qui avait ÂintĂ©rĂŞt Ă faire ralentir le mouvement, si ce n’est les industriels ?  », s’interroge ÂDelphine Batho, dĂ©putĂ©e PS des Deux-Sèvres et rapporteure d’une mission d’information sur l’offre automobile française prĂ©sidĂ©e par Sophie Rohfritsch (dĂ©putĂ©e LR du Bas-Rhin), dont les conclusions Âdevraient ĂŞtre rendues d’ici Ă juin.
Qui savait quoi ? Le 12 octobre 2015, lors d’une séance de questions-réponses au Parlement européen, Joanna Szychowska, représentante de la Direction générale du marché intérieur et de l’industrie, lâche que la Commission était au courant de la différence des mesures dès 2010. Quelques jours plus tard, le 25 octobre, le Financial Times publie la lettre envoyée le 12 février  2013 par Janez Potocnik, alors commissaire européen à l’environnement, à son collègue de l’industrie et de l’entrepreneuriat, Antonio Tajani. M. Potocnik s’inquiète des différences qui existent entre les mesures des émissions en laboratoire et celles sur route, expliquant son malaise quand il doit défendre le manque d’action de la Commission et des Etats membres sur le sujet.
Et puis, cerise sur le gâteau, il y a cet ubuesque article 5 du règlement européen du 20 juin  2007 concernant l’homologation des véhicules à moteur : « L’utilisation des dispositifs d’invalidation qui réduisent l’efficacité des systèmes de contrôle des émissions est interdite. »
Etait-il besoin de spécifier que tricher n’est pas jouer ? Pour Pascal Durand, eurodéputé Les Verts-Alliance libre européenne, «  c’est ce qui s’appelle ouvrir un parapluie.
En clair, voilĂ , j’ai fait mon job, j’ai prĂ©venu qu’il ne fallait pas utiliser de logiciel truqueur. A bon entendeur, Âsalut !  ». Fin du deuxième Ă©pisode.
Opacité et entre-soi
Il est un dernier point sur lequel il faut absolument s’arrêter  : la fameuse journée du 28 octobre 2015, qui peut apparaître comme une victoire, puisque c’est le jour de l’adoption d’un nouveau cycle d’homologation pour les véhicules diesel neufs, le WLTP. Mais rien n’est simple.
Les constructeurs ont en effet obtenu une contrepartie importante à la mise en place de ces tests plus contraignants : l’assouplissement de l’application de la norme Euro 6 (80 mg/km), pourtant adoptée en juin 2007 ! Entre 2017 et 2019, leurs véhicules neufs pourront rejeter jusqu’à 2,1 fois le seuil, soit 168 mg/km.
A partir de 2020, ils devront ne plus dépasser Euro 6 que de 50 %, soit
120 mg/km.
Lire aussi : Gaz polluants : le Parlement européen entérine un assouplissement des tests diesel
Des largesses qui n’étaient pas celles imaginées par la Commission, laquelle penchait plutôt pour un «  facteur de conformité  » de 1,6 entre 2017 et 2019, et d’un peu moins de 1,2 au-delà . Que s’est-il passé pour que les constructeurs bénéficient de marges aussi confortables ?
Tout s’est jouĂ© dans le huis clos du très opaque ComitĂ© technique pour les vĂ©hicules Ă moteur (CTVM). Un organe qui, comme une centaine d’autres, Ârelève de la procĂ©dure europĂ©enne dite de « comitologie ».
Ces enceintes sont chargées de discuter et de fixer les mesures d’exécution technique des textes déjà votés. Ceci pour soulager un Parlement au taquet. Près de 3  000 textes seraient ainsi adoptés chaque année en comitologie.
«  Quand j’ai appris que c’était l’UTAC qui allait mener des tests aléatoires de pollution, je me suis dit que c’était comme confier la banque du sang à Dracula  » Un expert international
Le CTVM est présidé par un agent de la Commission et accueille des délégations officielles de chaque Etat membre. Leurs noms sont tenus secrets et les débats sont confidentiels.
Dans le cadre de sa mission parlementaire, Delphine Batho a demandĂ© officiellement Ă la Commission europĂ©enne, le 30 octobre 2015, de lui transmettre les noms des partiÂcipants au CTVM. RĂ©ponse nĂ©gative.
L’ancienne ministre de l’écologie s’est alors tournée vers le président de l’Union européenne, Jean-Claude Juncker, qui l’a renvoyée à la commissaire au marché intérieur et à l’industrie, dont dépend le CTVM.
« J’ai eu une réponse, le 7 janvier, explique la députée. “Les noms des représentants qui assistent aux réunions sont considérés comme des données à caractère personnel.” Incroyable, non ? Alors que l’Europe a accepté les transferts des données personnelles de ses ressortissants vers les Etats-Unis ! »
On trouve néanmoins sur le site de la Commission des résumés de réunions du CTVM, dont celle du 28 octobre.
Aucun nom n’est dĂ©voilĂ©, mais on dĂ©couvre la prĂ©sence d’au moins deux organismes nationaux d’homologation des vĂ©hicules dans les dĂ©lĂ©gations ofÂficielles  : le français UTAC-Ceram et le luxembourgeois SNCH.
Une participation qui a de quoi surprendre. L’UTAC-Ceram – qui n’a pas répondu à nos sollicitations – est le
service technique désigné par la France pour réaliser les essais d’homologation dans le cadre des réglementations européennes. Pourtant, ses liens avec la filière automobile sont consanguins.
L’UTAC est une société privée, dont l’actionnaire à 100 % est l’Union des syndicats professionnels de la filière automobile. Entendu le 25 novembre 2015 par la mission parlementaire Rohfritsch/Batho, Laurent Benoit, son PDG, un ancien de PSA, précise que l’homologation des véhicules constitue «  entre 15 et 20 % de son chiffre d’affaires annuel de 50 millions d’euros  ».
Soulignons également que l’UTAC dispose de l’accréditation nécessaire pour certifier les processus de production dans les usines de PSA et de Renault. En clair, l’organisme valide à la fois les sites industriels et les voitures des deux constructeurs français. «  Quand j’ai appris que c’était l’UTAC qui allait mener des tests aléatoires de pollution sur une centaine de voitures pour la commission technique indépendante installée par Ségolène Royal fin 2015, je me suis dit que c’était comme confier la banque du sang à Dracula  », confie un expert international.
A quelles recommandations la commission d’enquête parlementaire européenne sur l’affaire Volkswagen arrivera-t-elle ? A une remise à plat de ce système incestueux ? A la création, comme beaucoup le réclament, d’une agence européenne indépendante qui coifferait les organismes nationaux d’homologation ? Pour élargir le spectre, Olivier Borraz, directeur du Centre de sociologie des organisations, propose, lui, que l’Europe lance une campagne d’évaluation de dix normes adoptées au sein de l’Union. Elle pourrait, par exemple, s’intéresser aux méthodes de contrôle et de certification des dispositifs médicaux. En dépit de l’affaire, en 2010, des prothèses mammaires défectueuses PIP, qui a fait 400  000 victimes dans le monde, les certificateurs chargés de vérifier la qualité des implants ne sont toujours pas obligés de réaliser des contrôles inopinés chez les fabricants. La directive du 14 juin 1993 n’a pas été modifiée… Cherchez l’erreur.
Lire l'entretien : Sylvain Laurens : « A Bruxelles, un monde refermé sur lui-même »
Par Marie-Béatrice Baudet