Imprimer l'article Partager : RÉMY PRUD'HOMME Le fiasco du bonus-malus automobile
[ 22/12/08 ] 18 commentaires
L'enfer est pavé de bonnes intentions. Le bonus-malus automobile consiste à taxer les voitures qui rejettent beaucoup de CO2 et avec l'argent ainsi prélevé à subventionner celles qui en rejettent peu. L'idée a séduit à peu près tout le monde (y compris l'auteur de ces lignes). La mesure, introduite en janvier 2008, a effectivement modifié profondément les achats de voitures en France, et réduit sensiblement le niveau moyen de rejets des véhicules achetés. Bravo ! Pourtant, à mieux réfléchir et à davantage calculer, le bonus-malus apparaît comme une fausse bonne idée, pour au moins trois raisons.
Premièrement, il n'a pas réduit les rejets de CO2. Les Français ont certes acheté des voitures en moyenne moins polluantes, mais ils en ont acheté davantage (2 % de plus en données brutes, 9 % en données corrigées de l'effet de la conjoncture). Pour ce qui est du CO2, le calcul montre que ceci compense exactement cela. Les voitures achetées en 2008 rejettent globalement autant de CO2 que les voitures achetées en 2007.
Parce que les voitures diesels rejettent moins de CO2 que les voitures à essence, le bonus-malus a accéléré la diésélisation du parc. Il a de ce fait aggravé le déséquilibre qui existe en France entre la demande et l'offre de gazole. D'un baril de pétrole importé et raffiné on ne peut en effet tirer qu'une certaine quantité de gazole. La France est donc amenée à exporter beaucoup d'essence et à importer beaucoup de gazole : c'est bon pour la marine marchande, mais mauvais pour l'environnement. Les économies de CO2 réalisées grâce à la consommation de gazole sont du reste illusoires : l'essence, nécessairement produite en même temps que le gazole, et exportée, va bien être consommée quelque part. Son carbone ne sera pas relâché chez nous, mais il le sera ailleurs, et il y a quelque hypocrisie à s'en féliciter.
Deuxièmement, le bonus-malus n'a pas atteint son objectif de neutralité fiscale. Il génère 230 millions d'euros de malus et 540 millions de bonus. Le système coûte donc plus de 300 millions d'euros par an aux finances publiques. Il augmente soit les impôts soit la dette publique de ce montant.
Troisièmement, cette mesure phare du Grenelle de l'environnement n'aide pas l'industrie automobile. Elle est au contraire un mauvais coup porté à cette activité. Comment, dira-t-on, le bonus-malus n'a-t-il pas augmenté les ventes de voitures ? En nombre, oui, mais en valeur, non. Les voitures « bonussées », dont les ventes ont fortement augmenté, sont des petites voitures plutôt bon marché, alors que les voitures « malussées », dont les ventes ont fortement diminué, sont des voitures plutôt chères. Au total, le chiffre d'affaires - qui définit l'activité et l'emploi du secteur - n'a pas été augmenté par le bonus-malus.
De toute façon, le coup de pouce quantitatif du bonus n'est que temporaire. Le marché de l'automobile est d'abord (à 85 %) un marché de renouvellement. Ce que fait un bonus, c'est modifier l'arbitrage entre acheter et garder encore sa voiture, et donc raccourcir la durée de vie des véhicules. Supposons pour faire simple que cette durée de vie passe de dix à neuf ans. Au lieu de remplacer en 2008 les voitures de 1978, on remplacera en 2008 les voitures de 1978 et de 1979. Mais en 2009, avec le même bonus, on remplacera seulement les voitures de 1980. Un bonus est donc un fusil à un coup dont l'effet s'estompe très vite. Les ventes reviennent rapidement à leur niveau antérieur, comme on le sait depuis l'expérience de la « juppette » (NDLR : prime à la casse sous le Premier ministre Alain Juppé) en 1997, et comme le montrent les chiffres de cette fin d'année 2008. Ces coups d'accordéon sont fâcheux pour l'industrie qui les subit.
Surtout, le changement de structure de la production causé par le bonus-malus est massif : une diminution de 60 % du nombre des voitures malussées, une augmentation de 40 % du nombre des voitures bonussées. Un tel changement est un choc brutal difficile et coûteux à absorber. On ne transforme pas en un tournemain une usine qui produit des Laguna en une usine qui produit des Clio : les ouvriers des usines de Sandouville le comprennent mieux que les experts des salons de Grenelle.
Le bonus-malus n'est pas la cause principale de la situation dramatique de l'industrie automobile. Mais il y a contribué. Avec lui, l'argent du contribuable a servi à enfoncer l'industrie automobile. L'argent du même contribuable servira maintenant à la soutenir. L'environnement n'y a rien gagné. Encouragé par ces beaux résultats, le ministère de l'Ecologie affiche sa satisfaction et milite pour introduire en France une douzaine de petits frères du bonus-malus automobile - sans succès, pour le moment. Rémy Prud'homme est professeur émérite à Paris-XII.
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