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C'est une première pour une chambre du Parlement français. Le Sénat a décidé, ce jeudi 28 avril et à l'unanimité, de saisir la justice pour faux témoignage devant une commission d'enquête. Un pneumologue est accusé d'avoir nié tout lien avec l'industrie pétrolière alors qu'il était rétribué depuis des années par le groupe Total.
Michel Aubier est pneumologue et ancien chef de service à l'hôpital Bichat (XVIIIe arrondissement de Paris). Interrogé le 16 avril 2015 par une commission d'enquête parlementaire sur le coût et les dangers de la pollution atmosphérique, il avait assuré - la main droite levée et en jurant de dire "toute la vérité, rien que le vérité" - n'avoir "aucun lien d'intérêt avec les acteurs économiques".
Mais en mars après des révélations de "Libération" et du "Canard enchaîné", le spécialiste a reconnu devant la commission - réunie exceptionnellement à huis clos - que le groupe pétrolier français lui versait de 50.000 à 60.000 euros par an pour des fonctions de médecin-conseiller. Cela depuis la fin des années 1990.
L'IMPACT DU DIESEL MINIMISÉ
"Ce mensonge est d'autant plus inadmissible qu'il touche une question de santé publique", s'est indignée la rapporteure de la commission, la sénatrice écologiste Leila Aïchi. "Michel Aubier a, lors de sa première audition, minimisé l'impact du diesel sur la santé", lui reproche-t-elle. Le médecin avait été précisément questionné sur la façon dont l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) appréhende la question des coûts économiques et financiers de la pollution de l'air, en particulier par la prise en charge des pathologies qui y sont liées.
Devant la commission mais également dans les médias, le médecin avait minimisé à plusieurs reprises les dangers des moteurs diesel sur la santé. Dans l'émission "Allô docteurs", diffusée sur "France 5" le 1er mars, il avait notamment déclaré que la pollution atmosphérique "peut être cancérigène" mais que "pour le moment, ce qui a juste été démontré, c'est essentiellement des cancers lors d'expositions assez fortes, c'est-à -dire professionnelles".
"Il appartiendra au procureur de la République d'apprécier l'opportunité d'engager des poursuites", a précisé jeudi la présidence du Sénat à l'issue d'une réunion de son Bureau, l'équivalent de son conseil d'administration. Celui-ci a d'ailleurs souligné que "la prestation de serment devant une commission d'enquête était un acte solennel qui engageait son auteur". Le pneumologue risque jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.
L'APHP ÉTUDIE AUSSI UNE ÉVENTUELLE PROCÉDURE
De son côté, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, a qualifié le comportement de Michel Aubier d'"inadmissible". "La décision du Sénat est à la hauteur de la gravité des faits", a jugé la ministre. Elle a aussi annoncé que l'APHP "étudie la situation individuelle de Michel Aubier et examine les conditions d'une éventuelle procédure".
"Au-delà de son cas personnel, je veux dire que la communauté médicale de l'APHP, qui a été profondément atteinte par cela, a élaboré un guide pour définir de façon plus précise la façon dont les médecins doivent se comporter face aux conflits d'intérêt", a-t-elle indiqué devant le Sénat. A l'issue de ses travaux, la commission présidée par Jean-François Husson (Les Républicains, ex-UMP) avait conclu que la pollution de l'air coûterait plus de 100 milliards d'euros par an à la France, en dépenses de santé, absentéisme dans les entreprises ou baisse des rendements agricoles.
La commission avait préconisé 61 mesures pour "une véritable fiscalité écologique" et pour "compléter les normes existantes". Dans les transports, elle avait proposé notamment l'alignement progressif jusqu'en 2020 de la fiscalité de l'essence et du diesel.